Lors de la “guerre” de Gaza, parmi les défenseurs des palestiniens, on a souvent entendu des mots mal utilisés rendant contre-productif leur emploi. Cet article explique pourquoi le terme de génocide est inapproprié et pourquoi l’accusation de “sioniste” déplacée.

Mots

L’importance d’un vocabulaire riche permettant des usages précis a été soulignée depuis longtemps, à la fois pour mieux penser et mieux défendre des idées (Boileau nous rappelle que “Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,”) et comme signe d’appartenance à une élite culturelle : Bourdieu et Passeron expliquent qu’une part de l’échec scolaire des enfants des milieux populaires provient de leur manque de vocabulaire et du manque de maîtrise qu’ils en ont. Parmi les personnes qui ont manifesté (sur le web ou dans la rue) leur soutien aux palestiniens au cours des bombardements de Gaza lors de l’été 2014, deux mots ont été utilisés à tort : “génocide” et “sioniste”. Leur mauvais usage a desservi la cause des victimes, voici pourquoi….

“Sioniste”

 

Ce terme a été utilisé pour qualifier tout défenseur du gouvernement Netanyahu et de sa politique.  Le premier ministre et tous les membres de son gouvernement se perçoivent sans aucun doute comme “sionistes”. Le problème est que l’écrasante majorité de ses opposants en Israël et une large majorité de la diaspora juive l’est aussi… Pourquoi ? Parce que toute personne souhaitant l’existence d’un état pour les juifs en tant que peuple se rattache au projet “sioniste”. On peut ensuite dénoncer les dérives de mouvements se rattachant au sionisme mais considérer “sioniste” comme une insulte revient à remettre en cause plus d’un siècle d’Histoire. On peut discuter des frontières d’Israël, on peut aussi se demander s’il n’aurait pas été plus judicieux de créer un état juif ailleurs, mais critiquer tous ceux qui souhaitent que les juifs aient un État est une position difficilement tenable de la part de ceux qui ne sont pas juifs (être antisémite et antisioniste sont deux attitudes bien distinctes mais, être “antisioniste” par principe, risque fort de renvoyer à une justification discutable).

L’usage de ce terme pour critiquer la politique israélienne est donc au moins aussi “caduque” (terme de Y. Arafat) que l’exigence de l’OLP de “l’élimination de la présence sioniste et impérialiste” de Palestine (anciens articles 15 et 22 de la Charte de l’OLP, considérés comme plus à jour en 1989, source : Le Monde).

Parler de “sioniste” à tout bout de champ conduit à faire croire que ceux qui défendent la Palestine veulent la fin de l’état israélien (cas de certains extrémistes…  or même la direction du Hamas semble en grande partie prête à accepter l’existence d’Israël sur une partie de l’ancien britannique de Palestine). Parler de “sioniste” à tout bout de champ c’est couper les palestiniens de leurs meilleurs alliés : tous les israéliens qui veulent la paix (sans avoir à traverser la mer !).

“Génocide”

 

Les bombardements israéliens ont fait près de 2000 morts dont une majorité de civils. Ils ont aussi conduit à des destructions de quartiers entiers. Le fait que des écoles et des hôpitaux aient été pris pour cibles a contribué une forte indignation.  Un terme que j’ai souvent souvent lu fut celui de “génocide” (prononcé apparemment par le président palestinien, M. Abbas, apparemment car il s’agit de sa traduction rapportée par l’AFP…).

Le souci de ce terme est qu’il est exagéré et l’exagération décrédibilise.  2000 morts, cela fait beaucoup, mais traiter le problème palestinien sous l’angle des chiffres conduit inévitablement à une relativisation du côté israélien (exemple d’article en français), pour résumer l’idée : “170 000 mors en Syrie, des dizaines de milliers d’autres en Iraq, Afghanistan, on ne sait combien en Congo… et nous avec seulement 2000 morts, on vient nous chercher des noises” ?

Il est évident en fait que l’extermination d’une population n’est pas le but et que 2000 morts en deux ans sur une population de 3 millions d’habitants ne constitue pas un début de génocide. Il y eut un temps, où les israéliens considéraient souhaitable que les habitants de Gaza et de la Cisjordanie émigrent. Ils n’étaient vus que comme des “arabes” et non des “palestiniens”, et dès lors, il s’agissait d’une forme d’échange de territoires : la plupart des juifs arabes étant parti dans les années 1950 et 1960, le dommage porté était tout relatif. L’extrême-droite israélienne garde probablement  en partie ce but quand on recoupe certains discours (A. Liberman qui propose d’expulser les “arabes israéliens”) et les faits (accélération de la colonisation), mais le génocide ne semble pas avoir été un moyen envisagé. De fait, le problème principal des palestiniens n’est plus / n’est pas les morts mais les vivants… (voir dans une version “soft” le rapport des parlementaires britanniques “choqués“,  dans une version “hard, l’analyse de F-X. Plasse-Couture qui dénonce une politique d’enfermement généralisé, et pour les faits du quotidien, le site israélien de B’Tselem). 

On pourrait aussi revenir sur quelques autres termes ou expressions, mais j’ai préféré ici focaliser mon attention sur ces deux mots fréquemment entendus. Peut-être, reviendrai-je une prochaine fois sur les mauvais angles d’analyse du conflit.

 

crédit Image : auteur, à partir d’une image de brevet libre de droits

 

Éléments de Bibliographie :

 

Boileau, N. (1674), De l’Art Poétique, http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Art_po%C3%A9tique (chant I).

Bourdieu, P. et Passeron, J.-C. (1964), Les héritiers, Editions de Minuit, http://www.amazon.fr/Les-h%C3%A9ritiers-%C3%A9tudiants-culture/dp/2707300810

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