NPG 225; Thomas Hobbes by John Michael Wright

Pourquoi l’Etat ? La réponse de Hobbes est souvent résumée à  une justification du pouvoir autoritaire. Telle était ma vision à 20 ans. Cet article explique pourquoi cette vision était fausse et faussée…

Attention : sujet peu sexy… mais court !

 

Comment mon regard sur Hobbes a changé.

Comme beaucoup, la première fois que j’ai entendu parler de Hobbes fut durant un cours de philosophie, en terminale. A voir les 640 pages du manuel que j’ai gardé, le programme devait être vaste. J’ai eu la chance d’avoir comme enseignante Mme. Boulbina. Elle nous a vite expliqué qu’elle essaierait de nous faire réfléchir plutôt que de développer nos connaissances en Histoire de la pensée, ce qu’encourageaient les manuels. J’ai des souvenirs précis des discussions avec elle sur Platon, Descartes, Spinoza, Hegel et Freud, mais pas grand-chose sur la philosophie politique. Pourtant, on en a parlé… ce qui me reste, c’est notamment une opposition entre un Hobbes qui légitime la monarchie absolue et un Rousseau père moral des idéaux démocratique de 1789. Hobbes était celui pour qui « l’homme est un loup pour l’homme » ce qui rendait nécessaire que soit imposé un pouvoir autoritaire.

Plus tard, mon regard sur Hobbes a beaucoup changé et je me suis demandé pourquoi. J’avais eu l’occasion de lire que la pensée de Hobbes était plus subtile qu’un simple discours de légitimation de la monarchie absolue. Ainsi, Hobbes lorsqu’il reprend l’auteur latin Plaute et affirme que l’homme est un loup pour l’homme, dit préalablement que cela est aussi vrai que l’homme est un Dieu/ange pour l’homme (« Dieu » ou « ange » selon les traductions que j’ai pu avoir). C’est surtout en lisant Jean Terrel (2001) que j’ai découvert la force du raisonnement de Hobbes. On peut me reprocher d’avoir peu lu Hobbes dans le texte, mais (et j’y reviendrai) j’estime que souvent la distance historique et temporelle qui nous sépare des auteurs rend vaine une bonne compréhension directe de leurs écrits. Aussi, je pense être plus fidèle à leurs idées en me fiant à leurs interprètes.

Bref, Hobbes m’impressionne par sa démarche intellectuelle et son raisonnement. Avant Rousseau, il conçoit le contrat social comme une fiction rationnelle, un outil de raisonnement qui permet d’expliquer ce qui fonde le pouvoir politique sans avoir à faire d’hypothèse sur la volonté de Dieu ou sur une Histoire méconnue de l’humanité. Sur le raisonnement, Hobbes recourt à la logique de la sélection institutionnelle et à une vision réaliste de la nature humaine partant de l’introspection :

  • La logique de la sélection institutionnelle signifie que l’ordre actuel existe parce que des alternatives n’ont pu durer. Hobbes sait la fragilité des états, et suggère qu’un mauvais système politique sera assez rapidement abandonné. On anticipe ici à la fois Hayek et le modèle « Exit, Voice, and Loyalty » d’Hirshman (1970).
  • Hobbes a une vision de l’humain sans connotation morale : chacun peut-être bon ou mauvais, chacun nourrit une certaine ambition pour lui-même, mais en animal social il a besoin de pouvoir compter sur un ordre assurant un minimum de sécurité dans un environnement marqué par l’incertitude des rapports des forces.

Enfin, Hobbes postule un des fondements du libéralisme : nul n’est mieux placé que soi-même pour savoir ce qui est bon pour son bonheur. Ce postulat fonde le droit naturel à la liberté et dans la suite, le pouvoir s’instaure par un dessaisissement consenti d’une partie de la liberté du citoyen/sujet.

Aussi, Thomas Hobbes est pour moi l’un des plus grands penseurs politiques : il développe une réflexion dans un esprit scientifique neutre et explique comment la légitimité du pouvoir peut reposer sur le consentement d’individus libres et égaux en droits sur qui s’exerce l’autorité du pouvoir en question.

Pourquoi mon regard initial était biaisé.

J’ai repensé à ma première vision négative de l’auteur. Cette vision négative m’avait conduit à me désintéresser de l’auteur et en discutant autour de moi, je me suis rendu compte que d’autres étaient dans la même situation, contribuant à appauvrir leur culture et leur imagination politique. A l’échelle de ma petite personne, j’ai essayé de comprendre la cause de cette aversion initiale à l’égard de Hobbes.

J’ai relu « Le Temps des Philosophes », mon manuel de philosophie de terminale.  Le chapitre consacré à Hobbes a un contenu tout à fait cohérent au regard de la vision de Terrel.  La vision des auteurs est en fait assez éloignée de celle que j’avais en mémoire à 18 ans. Les auteurs concluent  «Loin de vouloir que le pouvoir se mêle de tous les aspects de la vie, il pose en principe l’impossibilité d’une telle éventualité, et voit dans le silence de loi civile, l’espace où peut se déployer la liberté des sujets. Ce qui compte, ce n’est pas l’étendue du pouvoir, son contenu, mais son caractère contraignant, c’est-à-dire sa forme, et il faut comprendre que cette contrainte nous libère plus qu’elle nous opprime » (page 207).  La vision négative de Hobbes résulte en fait d’une conjonction de mon éducation et de l’approche historique linéaire de l’ouvrage.

Je peux dire que j’ai grandi dans une famille dont les convictions politiques, avec différentes nuances, correspondent assez bien au moule idéologique de la République Française, notamment dans son école : on y est toujours plus à l’aise lorsqu’on croit au progrès de l’Humanité, que l’on met sur le même pied l’égalité et la liberté (ce qui ne va pas de soi dans le monde anglo-saxon par exemple), lorsqu’on préfère la république à la monarchie (fut-elle parlementaire), lorsqu’on développe un idéal laïc et universaliste de la nation… mon père, homme de gauche  avait une profonde estime de l’école publique. Il avait en plus une vision angélique de l’enfance assez proche de celle de Rousseau. Aussi, spontanément, il m’était difficile d’avoir de la sympathie pour un auteur qu’on opposait à Rousseau et qui ne défendait pas à la fois un ordre politique démocratique et républicain.  D’autre part, il faut avoir en tête que les cours d’Histoire que j’ai eu à cette époque-là (fin des années 80, années 90) étaient eux-aussi marqués par une vision optimiste de l’évolution des sociétés et par une valorisation implicite du modèle républicain français.  La Révolution de 1789 était alors pour moi l’événement central de l’Histoire de l’Humanité. Aussi, un auteur qui aurait pu soutenir un modèle divergent de la république démocratique devait être suspect.

Or, le plan historique du manuel et du cours de philosophie conduisaient à associer Hobbes au XVIIème siècle, siècle de Louis XIV, donc siècle de l’absolutisme, donc des guerres et de l’intolérance… qui ne pouvait être vu comme un progrès ! Pour ne rien arranger, le chapitre sur Hobbes était sous-titré « L’essence absolue du pouvoir», ce qui ne voulait pas dire que le pouvoir absolu était essentiel… mais l’association des termes ne faisait que renforcer les préjugés négatifs à l’encontre de ce cher Hobbes.

La logique historique linéaire et la nécessité d’être sélectif dans un vaste programme conduisait à opposer Hobbes à Rousseau. L’opposition des auteurs semble surtout être la conséquence d’un lien (involontairement ?) suggéré entre les idées qui sont exprimées à une époque et les régimes politiques de ces mêmes époques, comme si l’on voulait que Rousseau explique 1789 tandis qu’Hobbes explique Louis XIV. C’est en fait un contre-sens, Terrel montre bien que parmi les théoriciens du contrat social, Rousseau est sans doutes l’un des plus proche de Hobbes. Leur principale divergence repose sur la conception de l’état de nature (état de guerre de tous contre tous / L’Emile ou le bon sauvage…). Divergence faible par rapport à celle avec les autres théoriciens tels que Grotius ou Locke. Par ailleurs, Rousseau creuse une problématique moins étudiée par Hobbes : en républicain il essaie de faire de la personne souveraine le peuple et ainsi écarter le recours à une tierce entité comme le fait Hobbes. Hobbes ne précise pas qui exactement doit-être le Léviathan qui nous gouverne, Rousseau y voit le peuple souverain, ce qui nous paraît évident, mais nous verrons qu’il pourrait y avoir d’autres solutions, que la focalisation sur le pouvoir du peuple par le peuple conduit à une myopie politique…

 

Références :

 Image : Portrait de Hobbes par John Michael Wright, National Portrait Gallery de Londres.

 

6 pensées sur “Hobbes, la République, son école et le manuel scolaire.”

  1. Bonjour,

    Pour une raison inconnue j’avais aussi la même impression de Hobbes. Je vais vois si je ne peux pas dénicher un bon livre sur le sujet.

    T.

Répondre à Polithomas Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *