D’une lecture anti-raciste de l’Histoire à une Histoire antimorale ?

 

Diamond a vu dans son travail une façon de montrer qu’il n y avait pas de culture supérieure à une autre, chaque culture résulte d’une adaptation des hommes à leur environnement. En outre, il relativise la “performance” de la culture européenne en montrant d’une part qu’elle résulte d’une chaîne de développements civilisationnels qui ont parcouru l’ensemble euro-asiatique et d’autre part en montrant les accomplissements spectaculaires d’autres groupes humains. Diamond a considéré que son travail contribuait à une vision unifiée de l’humanité, une vision où le racisme basé sur la génétique ou sur la culture ne pouvait avoir place.

Cependant, des critiques se se sont faite entendre fortement à l’encontre de son travail. Ces critiques proviennent essentiellement d’une lecture antimorale de Guns, Germs and Steel. Diamond est au-départ un spécialiste de la Papouasie. Il n’est pas très étonnant qu’il ait été attaqué sur sa présentation de la situation des états amérindiens lorsque les espagnols entament la conquête de l’Amérique centrale et andine (à ce sujet, l’ouvrage de Mann “1491” est souvent présenté en contre-références). On lui a notamment reproché des approximations factuelles sur la guerre civile prévalent chez les incas lors de la conquête espagnole. Il est probable que pour des spécialistes de l’Histoire des Andes, la question des alliances (et des trahisons !) a été majeure dans la conquête de Pizzaro. Mais pour Diamond, du fait de son approche, il s’agissait d’éléments secondaires, car peu importe que Pazzaro échouât ou non, le rapport de force technologique aurait fini par donner la victoire aux espagnols. 

Pour autant, derrière la critique des faits historiques sur lesquels s’appuie Diamond, pointe une critique morale :  la thèse naturaliste de Diamond conduit à ôter l’occident de toute culpabilité quant au sort des populations conquises. La domination coloniale devient naturelle. Diamond ne nie pas que cette conquête fut permise par des massacres, des trahisons et des empoisonnements. En revanche, il montre que cette immoralité n’est pas propre à une culture. Il n y a ni de civilisation plus intelligente qu’une autre, ni civilisation plus morale qu’une autre. On voit alors poindre la seconde critique majeure : la thèse de Diamond est fataliste, la nature détermine l’Histoire.

A  très long terme : oui. Les lois de la Physique nous laissent peu d’espoir quant à la disparation de la Terre. La “big history” des espèces nous donne aucune raison de penser que les humains ou leurs descendants domineront toujours le règne animal sur Terre. Mais en attendant, Diamond a paradoxalement essayé de montré que les humains étaient maîtres de leurs destins. Mais à condition de voir que l’Histoire se joue avec l’environnement. Si Guns, Germs and Steel, pouvait donner l’impression que la nature détermine l’humain, Collapse (2006) montre l’effet de l’homme sur la nature. L’Histoire des sociétés insulaires permet de trouver des similarités entre l’Humanité unifiée actuelle et des populations qui ont disparu ou failli disparaître sur leur île. L’existence de cas pessimistes (les habitants de l’île de Pâques) et de cas optimistes (le Japon médiéval) montre que les choix politiques déterminent l’avenir des sociétés.

Diamond : une histoire du monde comme système ?

 

Finalement, l’œuvre de Diamond nous sort d’une vision politique de l’Histoire, élargit les fondements de la compréhension de l’Histoire et nous appelle à la modestie. La thèse de Diamond peut sembler immorale car elle est amorale dans son fondement. En ce sens, Diamond se distingue d’un autre penseur systémique de l’Histoire : Marx. Marx cherche à comprendre l’Histoire dans toute sa complexité mais essaie d’y voir un sens, celui du progrès, d’une humanité s’éloignant de la privation et allant vers la justice. Diamond nous pousse à réfléchir en terme de système. Mais le système devient encore plus complexe que chez Marx car il inclut l’écosystème planétaire et les humains ne peuvent plus compter sur un sens de l’Histoire : le pire (l’effondrement) devient possible.

La diffusion de la thèse de Diamond auprès du grand public permet de populariser la notion de causalité systémique. Les causalités systémiques sont des causalités indirectes et souvent probabilistes (A impacte B qui impacte C en augmentant de p % les chances que C subisse l’événement X…). Ces causalités sont plus difficiles à mettre en avant dans la débat public, ce qui pose un vrai problème politique (ce qu’explique bien Lakoff, professeur en communication). La lecture de l’Histoire par Diamond si elle est parfois schématique, si elle nous paraît amorale et pessimiste contribue au final à nous rendre à la fois plus humbles et conscients de l’échelle pertinent de la sphère politique : le système-Terre.

 

Bibliographie :

  • Diamond, J.  (2000)  , De l’inégalité parmi les sociétés, Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire [« Guns, Germs, and Steel:The Fates of Human Societies »], Gallimard, NRF essais.
  • Diamond, J. (2006), Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie [« Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed »], Gallimard, NRF essais.
  • Krakauer, D., Gaddis, J.L. et K.L. Pomeranz (2011), An Inquiry into History, Big History, and Metahistory, Cliodynamics, 2,1, 1-5.
  • Lakoff, G. (2014), The All new Don’t Think of elephant, Worth it.
  • Mann, C.C. (2007), 1491 Nouvelles révélations sur les Amériques avant Christophe Colomb, Albin Michel.

 

crédit image : image libre, Wikipedia.

2 pensées sur “Jared Diamond : une Histoire naturalisée et démoralisée?”

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