Dans la continuité d’une très ancienne tendance, les politique favorisent le sédentarisme. Mais ces politiques sont archaïques dans un monde où la mobilité est devenue source de pouvoir.

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La sédentarité fonde l’État, L’état renforce la sédentarité.

 

L’ Histoire de l’Humanité est en grande partie celle de l’instauration de structures étatiques gouvernant des populations sédentaires (Diamonds, 1997). L’accroissement des densités de peuplement permis par l’agriculture et le développement contingent des villes, augmentent le nombre d’interactions sociales que chacun peut avoir et nécessite alors des règles et une autorité dont la légitimité dépasse les liens de filiations.  Ainsi, la sédentarité est le milieu naturel de l’État. Pour un État, le nomadisme pose problème :  pour Nozik (1974), l État assure un service de sécurité entre des individus ayant “souscrit” ses services, quand ses “clients” rencontrent des personnes qui n’ont pas souscrit ses services, l’État tend à contraindre ces derniers à devenir aussi des clients… vous voyez la logique, un État tend à croître jusqu’à ce que sa population ait peu de contacts avec d’autres populations.  Mais les nomades, eux échappent au contrôle de l’État, aussi quand des habitants “clients” de l’État rencontrent des nomades, l’État n’est pas en mesure d’imposer sa loi.

On comprend alors que l’Empire romain ait construit un mur  contre les nomades berbères d’Afrique du Nord alors qu’à l’est, face à l’empire Parthe, il n’est pas eu besoin de frontière étanche, l’existence d’un autre état assurait le contrôle des populations frontalières. De façon similaire, la Chine impériale a construit une muraille pour faire face à ses voisins nomades du nord (les mongoles) alors qu’au sud, les voisins sédentaires ne présentaient pas de menace : si votre voisin est un État, l’irruption d’un groupe semant le désordre chez vous sera de la responsabilité de cet État. En revanche, lorsqu’il s’agit de nomades , il est plus difficile d’identifier et de sanctionner des responsables.

Les nomades ont toujours été vus comme des populations menaçant l’autorité des états. Plusieurs stratégies ont pu être employées pour contrôler ces populations. Outre la délimitation spatiale (murailles), les alliances matrimoniales ont aussi permis une inféodation des nomades aux autorités étatiques (exemple des beys de Tunis avec les tribus nomades du sud tunisien), au au cours du XXème siècle, l’accroissement des moyens étatiques et l’intérêt plus grand pour les ressources des terres habitées par les nomades ont encouragée une stratégie radicale : la sédentarisation imposée.

Les pays du Sahel et les pays arabes notamment ont utilisé cette option à partir des années 1950. Si elle permettait d’apport à ces populations des services publics (santé, école), elle permettait aussi de mieux contrôler ces populations alors que dans ces pays, les États se contentaient en général d’un vague contrôle des zones rurales et accordaient peu d’importance aux steppes.

La sédentarisation assure aussi une meilleure capacité à appliquer les lois et à faire rentrer l’impôt :  le nomade a un pouvoir de négociation face à ces contraintes car si un droit de passage sur un chemin coûte cher, il peut changer de route, quand les autorités menacent d’une contrainte physique, elle pèse moins sur celui qui peut s’enfuir sans risque de voir ses richesses confisquées.

 

De la lutte contre la sédentarité  à l’empêchement de la mobilité

 

“Laissez faire, lasser passer”, la devise des libéraux du XVIIIème s. s’inscrivait en rupture de la tendance au contrôle étatique. Ce contrôle s’effectuait par des dispositifs allant à l’encontre de la mobilité des habitants :   douanes permettant d’accéder à des routes ou d’entrer dans des villes, laisser-passer. Dans la Chine communiste, le système des permis de résidence a longtemps permis de contrôler l’exode rural.

La récente lettre pour l’abrogation du livret de circulation rappelle que même dans la France contemporaine, le nomadisme suscite de la méfiance des autorités étatiques.  Cet anti-nomadisme est renforcé par des dispositifs qui tiennent plus à l’interventionnisme économique mais nuisent à la mobilité géographique et a fortiori au nomadisme :

  • Droits de mutations sur les achats de logements anciens : ils rendent coûteux les changements fréquents de logement lorsqu’on est propriétaire (or il est fiscalement plus intéressé d’être propriétaire de sa résidence principale puisque le loyer économisé n’est pas imposé).
  • Importance du parc HLM (près d’un français sur cinq) : déménager signifie perdre son logement social…et attendre longtemps avant d’en avoir un lorsqu’on peut encore y prétendre.
  • Rigidité du marché du travail : lorsque dans un couple, l’un a une opportunité professionnelle nécessitant un déménagement, la rigidité du marché du travail réduit les chances du conjoint de trouver un emploi équivalent en déménageant.

On pourrait citer également les règles géographiques limitant la libre installation dans de nombreuses professions (avocats, pharmaciens, taxis…).  Cet ensemble de contraintes combiné à l’encouragement de la propriété de la résidence principale (selon Eurostat, 58 % en France contre 44 % en Allemagne, pays pourtant plus âgé), font de la France un pays où l’immobilité géographique est fortement encouragée, sans doute trop….

 

Nomades mercenaires, ressources humaines fixes et mobiles…

 

 Trop, car la mobilité géographique devient une condition nécessaire à la prospérité des sociétés. Lorsque l’économie reposait sur l’agriculture, les mines et les industries lourdes, les lieux où se créait la richesse ne changeaient pas et les hommes n’avaient pas besoin de se déplacer une fois sur ces lieux. Dans un monde marqué par la hausse du niveau de qualifications, par l’importance des services, par le développement de petites unités de production et par des changements technologiques rapides, l’endroit où la compétence de chacun est la plus valorisée change plusieurs fois au cours d’une vie. Cela ne signifie pas que Pézenas pourrait remplacer Paris, mais que dans cinq ans une entreprise à fort potentiel de Pezenas aura peut-être besoin de compétences qui aujourd’hui ne se trouvent qu’à Paris alors qu’à Paris ces compétences seraient devenues moins recherchée.

A l’échelle mondiale, la mobilité des élites est déjà une réalité et pose quelques soucis. L’essor d’une langue universelle (l’anglais),  l’intégration des économies et le respect du droit de propriété des non résidents (un français peut posséder une usine au Japon ou en Afrique du Sud) a permis ce changement. Nous sommes passé de l’expatriation des cadres et de la migration des cerveaux à un nomadisme mondial des élites. Les expatriés changent de pays provisoirement pour servir un État ou une entreprise mais restent dépendant de leur pays d’origine : famille, revenus, école, culture… tout vient de ce pays. Les cadres migrants, eux changent de pays : Rajesh Koothrappali  (personnage de Big Bang Theory) quitte l’Inde, fait des études de physique en Californie et malgré se attaches au Pendjab, devient américain. Carlos Ghosn, PDG De Renault, est représentatif de la catégorie des élites nomades. Une personne aussi à l’aise dans son Brésil natal, qu’aux États-Unis ou en France et qui a vécu plusieurs années au Japon.  Le élites nomades voient leur carrière dans un cadre international. De plus, les liens personnels qu’ils tissent les rattachent à des cultures multiples qu’ils intègrent sans y voir de juxtaposition mais en considérant une identité unique résultant de racines multiples. Ce sont les premiers “hypernomades”, “maître de l’hyperemprire” décrits  par Attali dans sa “brève histoire de l’avenir”(2006). Attali entrevoit d’ailleurs leur caractère mercenaire. Sans attaches particulière et détenant des ressources convoitées par tous les États, ils n’ont pas de raison de ne pas chercher le pays qui leur offrira le plus.

Aussi, de plus en plus,  la  population peut être divisée en trois :

  • Les “nomades mercenaires” : ils apportent de la ressource fiscale et créent des emplois dans le secteur marchand. Ils sont anglophones et sont plus qualifiés que le reste de la population. Leur réseau social tend à être plus international. Ils ont aussi plus plusieurs nationalité. Par conséquent, ils peuvent facilement changer de pays : ils sont nomades.  Les États essaient de les attirer en leur proposant un bon rapport qualité/prix de conditions de vie. Cela passe par des services publics de qualité et une fiscalité réduite.
  • Les “ressources humaines fixes” (RH fixes): population majoritaire dans la plupart des pays, elle est composée d’individus qui pris isolément présentent un intérêt économique  limité. Leur masse donne la légitimité aux pouvoirs politiques mais ils peuvent être source d’instabilité politique.
  • les “ressources humaines mobiles” : populations jeunes issue des RH fixes, ils migrent dans des conditions plus ou moins imposées, leur migration les conduit soit à être des ressources humaines délocalisées soit des RH fixes une fois intégrés dans leur pays de destination.  Leurs flux sont négociés entre états contrairement aux nomades mercenaires qui migrent sans que cela implique une négociation entre états.

 

Encourager la mobilité de tous dans un cadre européen à la fiscalité harmonisée

 

Il y a donc quelque chose de pernicieux en France à encourager l’immobilité géographique alors même que la mobilité devient une caractéristique des élites. Il serait plus judicieux de rendre plus mobiles les “RH fixes” en développant à l’échelle européenne une population qualifiée mobile et fidèle aux États.

L’ Europe doit être un espace propice à une mobilité de masse permettant plus de création de richesse et de solidarité … le tout dans un cadre de concurrence limitée entre états. Un peu de concurrence encourage les états à se réformer, mais si on ne  fixe pas des minimums communs, certains pays à faible fiscalité recevront l’essentiel des nomades mercenaires, et pour la plupart des pays, les modèles sociaux ne tiendront plus, les inégalités exploseront et les états perdront leur cohérence sociale.

 A l’échelle mondiale, les grands pays devront :

  • d’une part s’accorder pour empêcher que des petits pays au nom de leur souveraineté ne deviennent des asiles fiscaux (et parfois judiciaires) pour des riches nomades ne voulant pas contribuer au financement des grands États qui garantissent la stabilité nécessaire à la prospérité collective.  L’essor de la mobilité risque d’encourager parmi les États des comportements de passager clandestin.
  • d’autre part s’accorder sur un respect commun des contrats qui régiront de plus en plus les liens entre États et citoyens. L’importance croissante des individus qui vivent entre plusieurs pays met à mal la logique de contrat social implicite prévalent jusqu’alors.  Le contrat social deviendra explicite et pourra être décomposé pour s’adapter à chaque cas. Ainsi, l’assurance-santé ou l’éducation pourraient être financées selon différentes formules de cotisations : forfaits, emprunts garantis sur des actifs internationaux, prise de participations aux revenus. Dans tous les cas, les États devront coopérer entre eux pour que les nomades respectent les contrats.

crédit image : auteur (image à la une) et dreamstime (image dans l’article, image libre de droits).

Références :

 

Attali, J. (2006), Une brève histoire de l’Avenir, Fayard.

Diamond, J. (1997), Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societie, Norton.

Nozik, R. (1974), Anarchy, State and Utopia, Basic books. Traduit en 1988 en français et publié par les PUF.

 

 

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